European Centre for Zoroastrian Studies

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Dr. Khosro Khazai Pardis
Conférence présentée à l’université de Strasbourg
le  du 3 avril 2012

Zarathoustra ;
l’homme qui créa le concept du bonheur

Depuis le déchiffrement de la langue des Gathas de Zarathoustra par Anquetil Duperron, au 18e siècle, et les études étendues des deux derniers siècles sur ses 17 chants sacrés, on sait que les Gathas, conçus il y a prés de 4000 ans, constituent un des piliers fondamentaux de l’histoire des civilisations et de la culture universelle.

Non seulement, Zarathoustra y présente, pour la première fois,  un système révolutionnaire, le monothéisme, qu’il introduit pour briser l’ordre existant depuis toujours, le polythéisme, mais il y expose en outre un autre grand concept, tout aussi nouveau et révolutionnaire, celui du bonheur et la réalisation d’une vie heureuse sur cette terre.

Toute sa philosophie existentielle dans les Gathas va être fondée sur le précepte selon lequel

« le but de notre vie est de mener une vie heureuse et joyeuse sur cette terre et le but de notre création est de prendre part activement à l’amélioration du monde, afin que tous les êtres vivants : humains, animaux et plantes vivent en paix et en plénitude ».

Voilà un principe étonnement moderne exprimé et développé  il y a 3700 ans.

Dès la première strophe du premier chant des Gathas, Zarathoustra exprime son désir de conduire la terre au bonheur :

Les bras levés, Ô Mazda,
je prie et Te demande humblement,
de m’accorder le bonheur.
Que toutes mes actions
soient en accord avec
la Sagesse et la Pensée Juste,
et en harmonie avec la loi de la Justesse.
Ainsi, je pourrai Te satisfaire
et satisfaire l’âme de la Terre. Gathas, chant 1,1

Mazda Ahura,

je viens vers Toi par la Pensée Juste

pour qu’à la lumière de la Justesse,

Tu me révèles la félicité des deux mondes,

le matériel et le spirituel,

afin que je puisse guider

mes compagnons vers le bonheur. Gathas, chant 1,2

Mais comment réaliser ce bonheur sur la terre, alors que Zarathoustra ne connaît ni le mécanisme, ni les lois et ni les conditions de sa réalisation. Il se trouve face à une mer de questions et de doutes. Il veut connaître les rouages d’une vie heureuse afin de pouvoir rendre les autres heureux.  Mais en même temps il entend, tous les jours les cris de souffrance de la terre qui supplie pour un instant de bonheur.  Dans la première strophe du deuxième chant il le décrit de cette façon :

L’âme de la Terre pleure
et se lamente auprès de Toi
Pourquoi m’as-tu créée ?
Qui m’a façonnée de cette manière ?
Je suis opprimée par la colère,
la cruauté et l’agression. 
Nul autre que Toi ne peut me protéger
Guide-moi vers le vrai bonheur

« Guide-moi vers le vrai bonheur ». Mais de quoi s’agit-il ce « vrai bonheur » ? En quoi consiste-il ?  Quelle est sa nature ?   D’où prend-il la source ?  Pourquoi tant de souffrance, de maladie et d’angoisse ? Pourquoi la mort, la séparation et le chagrin ? Ahura Mazda, n’est-il pas le dieu seul capable de créer le bonheur et la joie ? Mais alors, qui a créé le côté ténébreux de l’existence ? Qui a  établi cette loi injuste selon laquelle les êtres vivants doivent tuer et  manger d’autres êtres vivants pour survivre ?  Y a-t-il un autre dieu, un dieu du mal ?  Se demande Zarathoustra. Non impossible, il se dit ! Il doit avoir une autre raison et un autre mystère à découvrir.

Avec ses questionnements et ses doutes, Zarathoustra part alors à la recherche des lois qui lui permettent de comprendre le pourquoi du bonheur et de la souffrance.

Poursuivant son chemin et se consacrant à des longs moments d’observation, de réflexion et de méditation, Zarathoustra découvre une des lois fondamentales de l’existence, celle de la  dichotomie des forces et des phénomènes.

Il constate qu’aucune force, qu’aucun phénomène n’a de sens que par rapport à la force et au phénomène qui lui s’oppose directement.  Ainsi, la sérénité sans l’angoisse, la justice sans l’injustice, l’amour sans la haine, la vérité sans le mensonge, le bien sans le mal, le bonheur sans la souffrance, la joie sans la tristesse… etc. n’ont aucun sens.

Il voit ainsi que  nous vivons dans un monde des dualités et que rien n’a de sens sans son contraire.

Suite à la découverte de cette loi fondamentale, il découvre une autre loi tout aussi fondamentale,  à savoir,  que chacun des éléments de ces couples duels et opposés représente soit un aspect positif, qui mène les êtres vers le bonheur, soit


un aspect négatif qui les mène vers la souffrance. Cette loi est très intéressante dans la mesure où elle conduit Zarathoustra à connaître la nature des différents composants du bonheur mais aussi celle des différents composants de la souffrance.

Cependant, Zarathoustra veut savoir plus. Il veut savoir d’où ces phénomènes duels prennent-ils naissance ?  D’où viennent-ils ? Qui les créent ? Comment les maîtriser ?

Très vite il découvre que ces phénomènes, tels que le Bien et le Mal, ne sont pas cosmiques, c'est-à-dire qu’ils ne sont pas inhérents à la création du monde. Car dans les endroits non habités, le bien et le mal, le bonheur et la souffrance, la joie et la tristesse…etc. n’ont aucun sens.  Ils prennent leurs sens et deviennent opérants seulement par rapport aux êtres humains et aux êtres vivants en générale.

Zarathoustra comprend alors  que tous ces phénomènes sont nés dans la pensée « mana » ou sont perçus par la pensée et seront gravés dans la conscience « daena ».

Par conséquent le dualisme zoroastrien des Gathas- qu’il ne faut absolument pas confondre avec celui d’Avesta- est un dualisme éthique qui n’a de sens qu’au niveau de la pensée humaine. Il n’est pas cosmique, car il n’y a pas de dualisme dans l’univers non habité.

Dans les Gathas, ceci est annoncé dans plusieurs chants notamment dans le troisième chant de manière suivante, les strophes 1à4 :

A présent, je m’adresse à vous,
ô chercheurs de la Sagesse
et à vous, ô les Sages,
pour vous parler des deux principes fondamentaux
afin que vous rencontriez la lumière 
et atteigniez la joie et le bonheur. 
Ainsi, 
Avant le «  Grand Evénement du Choix »,  
écoutez les meilleures paroles et tendez l’oreille
et regardez avec les yeux de la Sagesse.
Et avec discernement, chacun de vous,  
homme ou femme, choisira l’une des deux voies. 
De ces deux principes fondamentaux, 

qui ont été conçu comme jumeaux,

et qui naissent dans la pensée,

l’une représente le Bien et l’autre le Mal.

Entre ces deux, le sage choisit le Bien

et l’ignorant le Mal

Et lorsque, dés l’origine,

ces deux principes fondamentaux

se sont rencontrés,

ils ont créé  la vie et la non-vie.

Ainsi, jusqu’à la fin des temps,

les disciples de la Justesse atteindront

la meilleure existence,

et les disciples du Mensonge

ne la connaîtront pas. (Gathas IV,1-4)


Dans ces strophes et dans certaines d’autres strophes des Gathas, outre la notion de « non-vie » qui est une notion complexe et nécessite une autre conférence, Zarathoustra fait entrer un autre concept fondamental, à savoir « la liberté de choix », non seulement la liberté de choisir son mode vie et de pensée qu’il appelle «  Le Grand Evénement du Choix »,  mais aussi la liberté de choisir, à chaque instant, entre les aspects positifs et négatifs des phénomènes duels et opposés dont j’ai parlé tout à l’heure.  Choisir entre la joie et la tristesse, entre le bonheur et la souffrance, entre l’amour et la haine, entre la sérénité et l’angoisse, et en résumé entre le Bien et le Mal.

Par conséquent dans la philosophie existentielle de Zarathoustra, le Bien  représente toutes les forces qui mènent vers la réalisation d’une vie heureuse et joyeuse, et le Mal toutes les forces qui empêchent la réalisation d’une telle vie.

Mais comment discerner entre le Bien et le mal ?  Y a-t-il un instrument, un outil ou une faculté pour pouvoir faire une telle distinction ? Zarathoustra appelle cet instrument « la sagesse, kheratu », concept extrêmement important et même capital dans la doctrine zoroastrienne. Elle est tellement importante que Zarathoustra a nommé son dieu, « Dieu de la Sagesse ». Mais qu’est ce que la « sagesse » dans l’optique zoroastrienne ?

Ce qui est sûre,  elle n’a rien à avoir ni avec les diplômes ni avec une éducation officielle. La sagesse est une faculté,  une force ou un outil, qui est née dès la naissance de la personne. Si la société le permet elle se développe et devient opérante et utilisable par son porteur.

Si la société est répressive elle est étouffée et reste inopérante. Pour Zarathoustra, la sagesse est supérieure à toute forme de connaissance. Une connaissance qui n’est pas dirigée par la sagesse est destructrice, tandis qu’une connaissance qui est dirigée par la sagesse contribue au bonheur des personnes.  Par conséquent la sagesse est l’instrument qui permet de distinguer entre le Bien et le Mal, sachant que le Bien représente les forces qui mènent au bonheur, et le Mal les forces  qui suivent le sens inverse.

L’homme donc peut choisir entre deux formes de pensée qui mènent à deux façons de vivre, le bien ou le mal, heureux ou malheureux, joyeux ou triste…etc. C’est pour cette raison que Zarathoustra, dans la strophe précédente parlent du «  Grand Evénement du Choix » : car,

choisir son mode de vie, ses croyances et ses préférences est un « grand événement » dans la vie. Or, beaucoup d’êtres humains sur cette terre, prennent ce choix à la légère ou tout simplement leurs sociétés leur interdisent d’avoir le choix. Le droit de choisir dans les Gathas est un droit fondamental. Il est le composant essentiel du bonheur.

Mais cette liberté de choisir a également pour conséquence que chacun est responsable de la voie qu’il choisit, donc de son bonheur ou de son malheur. Cette responsabilité donne ainsi un sens  à l’existence des êtres humains, qui est de réaliser une vie heureuse. Elle indique aussi une direction qui est celle d’aider Ahura Mazda à corriger les imperfections du monde.

Cependant, ce bonheur doit être partagé. Non seulement avec les autres êtres humains, mais aussi avec les animaux et les plantes. Car on ne peut pas être


heureux dans une société malheureuse.  Dans plusieurs chants Zarathoustra insiste sur ce fait. Par exemple les deux premières strophes du huitième chant commencent ainsi :

 

Ahura Mazda, 
a établi la loi de l’existence
de manière à ce que
le bonheur appartienne
à celui qui rend les autres heureux.
Ainsi, O Justesse,
pour la diffusion de cette loi éternelle,
donne-moi la force du corps et de l’âme
pour que, soutenu  par la sérénité,
je réalise une vie heureuse.
Car la meilleure vie
appartient à celui qui va vers la lumière
et qui la partage avec les autres.
Ainsi, O Ahura Mazda,
avec ton infinie Sagesse,
et dans le rayonnement de la Justesse,
montres-nous la connaissance
qui émane de la Pensée juste
pour que notre vie soit longue
et qu’elle soit chaque jour
remplie de joie et de plaisir.
 

Zarathoustra qui vient de découvrir le mécanisme et la nature du bonheur et le partage de ce bonheur se demande alors une question pertinente : Est-ce que ce bonheur ainsi trouvé et obtenu, est-il durable? N’oublions pas qu’il avait commencé sa quête à la  recherche de ce qu’il appelait le « vrai bonheur », c'est-à-dire un bonheur qui durera pour toujours même au-delà du monde matériel. Car ce bonheur une fois obtenu sur la terre doit nécessairement continuer son évolution dans le monde spirituel « manayha », au niveau de la conscience « daena », qui est éternel.

En effet pour Zarathoustra, « le vrai bonheur » ne dépend ni d’un acte de volonté et ni d’un raisonnement intellectuel. Il provient d’un regard spécifique sur la vie, construit au fil du temps, dans un système culturel spécifique et à travers lequel nous comprenons et interprétons les événements auxquels nous sommes confrontés.

Pour construire un tel système, Zarathoustra pose près de cent questions à Ahura Mazda au travers les Gathas. Le neuvième chant est constitué presque uniquement de questions.

Le système que Zarathoustra construit à cette fin, est extrêmement sophistiqué. Les 17 chants de Gathas ont été précisément conçus afin de réaliser un tel idéal.

Khosro Khazai Pardis
le 3 avril 2012
Pour plus d’information voir :
*Khosro Khazai Pardis ; Les Gathas; le livre sublime de Zarathoustra, ed. Albin Michel, 2011
Cette conférence a été publiée dans la revue, « Reliures », No. 31, 2013, pages, 20 à 22
Elle est également traduite en anglais et en persan.

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